La pose d’une couronne implantée à rétention cimentée est une technique largement utilisée en implantologie dentaire, offrant un excellent rendu esthétique grâce à l’absence de trou d’accès visible. Cependant, cette méthode présente un inconvénient majeur : l’excès de ciment qui se retrouve sous la gencive (région sous-gingivale) et qui peut favoriser l’accumulation de biofilm, entraînant des inflammations et, à terme, des complications péri-implantaire. Cet article présente en détail une étude in vitro publiée dans Scientific Reports (Ji et al., 2024) qui a évalué l’effet de divers paramètres—vitesse de pose, force appliquée, quantité de ciment et type de ciment—sur la quantité de ciment résiduel (RCS).
Contexte et justification
Les restaurations implantaires cimentées présentent l’avantage d’une meilleure esthétique en masquant le point de fixation, mais le ciment utilisé pour lier la couronne à l’abutment peut se retrouver en excès sous la gencive. Ce ciment résiduel constitue un risque important, car il favorise la rétention de bactéries et l’apparition de biofilm, entraînant des inflammations chroniques qui peuvent évoluer en peri-implantite. De nombreux travaux antérieurs ont établi un lien entre le ciment résiduel et les symptômes péri-implantaire, soulignant l’importance de maîtriser précisément la technique de cimentation pour éviter ces complications.
Objectifs de l’étude
L’étude menée par Ji et al. avait pour but d’examiner l’impact des variables suivantes sur la quantité de ciment résiduel sous-gingival :
- Vitesse de pose de la couronne : 5 mm/s, 10 mm/s, et 15 mm/s.
- Force de pose appliquée : 25 N et 50 N.
- Quantité de ciment utilisée : 0,02 ml, 0,04 ml et 0,06 ml.
- Type de ciment : Quatre ciments différents ont été testés, à savoir TEMP BOND NE (TBN), NEXUS RMGI (NR), MAXCEM ELITE (ME) et RELYX U200 (U200).
En évaluant la surface, la longueur et le poids du ciment résiduel (RCS), les auteurs souhaitaient déterminer quelles combinaisons de ces paramètres minimisaient la présence de ciment résiduel, facteur clé pour la prévention des complications péri-implantaire.
Méthodologie
Conception expérimentale
Pour simuler la situation clinique, les chercheurs ont utilisé des modèles expérimentaux reproduisant un implant dentaire cimenté :
- Modèle expérimental : Le modèle était composé d’une dent manducatoire simulée en résine photopolymère, avec un implant en titane fixé à un abutment. La couronne en zircone était conçue via un système CAD-CAM, permettant de définir précisément l’espace de ciment (35 μm).
- Procédure de cementation : Les couronnes ont été cimentées sur les abutments selon différentes conditions, établissant 60 groupes expérimentaux distincts issus de la combinaison des variables (4 types de ciment × 3 quantités de ciment × 3 vitesses de pose ou 2 forces de pose).
Mesures et évaluations
Pour quantifier le ciment résiduel, trois types de mesures ont été effectuées :
- Surface du RCS : Mesurée en pourcentage de la surface totale de l’abutment sous-gingival, à l’aide d’un scanner intra-oral 3D.
- Longueur du RCS : La distance maximale, mesurée verticalement du bord gingival à la profondeur la plus marquée du résidu.
- Poids du RCS : Calculé par la différence de poids de l’assemblage abutment-couronne avant et après le retrait des résidus, mesuré à l’aide d’une balance analytique.
Les spécimens ont été soumis à des protocoles de pose standardisés à l’aide d’une machine de test universelle, qui permet d’appliquer précisément la vitesse et la force souhaitées.
Analyse statistique
Les données obtenues ont été analysées en utilisant des tests non paramétriques (test de Kruskal–Wallis, test de Wilcoxon) et une analyse de variance à trois voies (3-way ANOVA). Ces analyses ont permis d’identifier les effets significatifs des différentes variables sur la quantité de ciment résiduel.
Résultats
Les principaux résultats de l’étude peuvent être résumés comme suit :
- Vitesse de pose : Une augmentation de la vitesse de pose de 5 mm/s à 15 mm/s était associée à une augmentation significative de la surface, de la longueur et du poids du RCS. Cela s’explique par les propriétés « shear-thinning » du ciment, qui devient moins visqueux sous une contrainte rapide, favorisant son écoulement.
- Force de pose : Une force plus élevée (50 N) entraînait une plus grande quantité de résidu comparée à une force de 25 N.
- Quantité de ciment : L’utilisation de 0,06 ml de ciment produisait systématiquement plus de résidu que les volumes plus faibles (0,02 ml ou 0,04 ml).
- Type de ciment : Parmi les quatre ciments testés, le ciment ME (MAXCEM ELITE) donnait les valeurs les plus faibles de RCS, tandis que le ciment TBN (TEMP BOND NE) produisait les résidus les plus importants. U200 et NR se situaient entre les deux extrêmes.
L’analyse 3-way ANOVA a montré une interaction significative entre la vitesse de pose, la quantité de ciment et le type de ciment (p < 0,05), indiquant que ces facteurs interagissent de manière complexe pour déterminer la quantité finale de ciment résiduel.
Discussion
Interprétation des résultats
Les résultats de cette étude in vitro démontrent que la maîtrise des paramètres de la pose de la couronne est essentielle pour minimiser le ciment résiduel, un facteur qui peut directement influencer la santé péri-implantaire. Les observations clés sont :
- Vitesse et force de pose : L’application d’une vitesse trop élevée ou d’une force trop importante favorise l’écoulement excessif du ciment, augmentant ainsi le risque que celui-ci ne soit pas complètement retiré lors du nettoyage.
- Quantité de ciment : L’utilisation d’une quantité supérieure de ciment conduit logiquement à un excès difficile à éliminer, surtout si l’espace de ciment est surdimensionné.
- Type de ciment : Les propriétés rhéologiques jouent un rôle crucial ; un ciment à faible viscosité, bien que bénéfique pour l’adaptation initiale, peut s’étendre de manière incontrôlée, d’où l’intérêt de choisir des ciments ayant un bon équilibre entre fluidité et capacité à rester confiné dans l’espace prévu.
Implications cliniques
Ces résultats ont des implications directes pour la pratique clinique. Pour prévenir l’apparition de complications péri-implantaire liées au ciment résiduel, il est recommandé de :
- Réduire la vitesse de pose : Une vitesse de 5 mm/s semble être optimale pour limiter l’écoulement excessif du ciment.
- Appliquer une force modérée : Une force de 25 N est préférable pour éviter la pression excessive qui pousserait le ciment dans les espaces subgingivaux.
- Contrôler le volume de ciment : Utiliser uniquement la quantité nécessaire, idéalement mesurée avec précision via des systèmes CAD-CAM, permet de réduire le risque d’excès.
- Choisir judicieusement le ciment : Opter pour des ciments ayant une viscosité adaptée, comme MAXCEM ELITE, pour limiter la propagation du ciment.
Limitations de l’étude
Bien que cette étude apporte des éclairages importants, elle présente certaines limites :
- Conditions in vitro : Les conditions de laboratoire ne reproduisent pas exactement l’environnement de la cavité buccale, notamment en ce qui concerne la température et l’humidité, qui influent sur la polymérisation du ciment.
- Modélisation de la gencive : L’utilisation d’une gencive artificielle peut ne pas refléter parfaitement la complexité des tissus gingivaux réels.
- Paramètres de pose arbitraires : Les vitesses et forces utilisées dans l’étude ont été fixées de manière expérimentale, et il serait utile de réaliser des études cliniques pour déterminer les valeurs typiques appliquées par les praticiens.
Recommandations pour la pratique
À partir de ces résultats, plusieurs recommandations peuvent être formulées pour optimiser la technique de cimentation des couronnes implantaires :
- Utilisation de vitesses de pose faibles : Favoriser une vitesse de 5 mm/s pour réduire l’écoulement du ciment.
- Application d’une force modérée : Limiter la force à environ 25 N pour éviter d’extraire excessivement le ciment dans la région subgingivale.
- Dosage précis du ciment : Contrôler minutieusement la quantité de ciment à appliquer, en se basant sur le volume défini par le système CAD-CAM.
- Sélection d’un ciment adapté : Privilégier des ciments comme MAXCEM ELITE, qui présentent une viscosité permettant une rétention suffisante sans risque de propagation excessive.
- Nettoyage post-cémentation rigoureux : Mettre en place un protocole de nettoyage standardisé pour éliminer complètement les résidus de ciment à l’aide d’instruments spécialisés et, si nécessaire, de techniques radiographiques pour détecter les résidus invisibles.
- Formation continue et protocoles standardisés : Encourager les praticiens à suivre une formation continue et à adopter des protocoles de cimentation standardisés pour garantir la constance et la qualité des interventions.
Perspectives futures
L’intégration des technologies numériques dans la conception et la fabrication des restaurations implantaires représente une avancée majeure. L’utilisation de scanners intra-oraux et de systèmes CAD-CAM permet de mesurer avec précision l’espace de ciment et d’appliquer des volumes très précis. À l’avenir, le développement de nouveaux ciments dotés de propriétés antimicrobiennes ou d’une meilleure biocompatibilité pourrait encore améliorer les résultats cliniques.
De plus, des études cliniques en conditions réelles sont nécessaires pour confirmer ces résultats in vitro et pour affiner les recommandations. Ces recherches futures devront prendre en compte la variabilité des conditions buccales et des techniques de pose pratiquées par différents cliniciens.
Conclusion
La gestion du ciment résiduel dans la zone sous-gingivale des couronnes implantaires à rétention cimentée est un enjeu crucial pour prévenir les complications péri-implantaire. L’étude de Ji et al. (2024) démontre que la vitesse de pose, la force appliquée, la quantité de ciment et le type de ciment influent significativement sur la quantité de résidu laissé. En adoptant une approche méthodique—réduisant la vitesse et la force de pose, contrôlant précisément la quantité de ciment et choisissant un ciment adapté—les praticiens peuvent considérablement diminuer le risque d’inflammation et de complications à long terme.
Ces recommandations, combinées aux technologies avancées comme le CAD-CAM et les scanners intra-oraux, offrent un potentiel important pour améliorer la réussite des restaurations implantaires. Bien que des études cliniques supplémentaires soient nécessaires pour confirmer ces résultats, les données actuelles fournissent déjà une base solide pour l’optimisation des protocoles de cimentation.
Pour en savoir plus sur cette recherche, consultez l’article original sur https://www.nature.com/articles/s41598-024-73806-w.
En définitive, en minimisant le ciment résiduel, les cliniciens pourront offrir des traitements d’implantologie plus sûrs et durables, améliorant ainsi la santé bucco-dentaire et la qualité de vie de leurs patients.