Introduction
La santé bucco-dentaire est de plus en plus reconnue comme un pilier essentiel de la santé globale, particulièrement chez les personnes âgées. Dans un contexte de vieillissement démographique accéléré, comprendre les conséquences de la perte de dents et l’impact potentiel de l’utilisation de prothèses dentaires sur la mortalité représente un enjeu majeur de santé publique. L’étude « Tooth loss, denture use, and all-cause and cause-specific mortality in older adults: a community cohort study » se penche sur cette problématique en évaluant, au sein d’une cohorte communautaire, les liens entre le nombre de dents naturelles, l’utilisation de prothèses et la mortalité, tant globale que spécifique (cardiovasculaire, cancer, et autres causes).
Les auteurs, issus de diverses institutions en Chine, se sont appuyés sur des données recueillies dans le cadre de la Chinese Longitudinal Healthy Longevity Survey (CLHLS). L’objectif principal était de déterminer si la perte de dents, associée ou non à l’utilisation de prothèses, pouvait constituer un marqueur de risque de mortalité chez les personnes âgées et ainsi, souligner l’importance d’interventions préventives et restauratrices dans cette population.
Méthodologie
L’étude s’appuie sur un suivi prospectif de 5 403 participants âgés de 65 ans et plus, recrutés lors de la vague 2014 du CLHLS, puis suivis jusqu’en 2018. Les chercheurs ont recueilli des informations détaillées sur le nombre de dents naturelles, en les classant en quatre groupes (0, 1–9, 10–19, et 20 ou plus), ainsi que sur l’utilisation de prothèses dentaires. Les données de mortalité, tant pour l’ensemble des causes que pour des causes spécifiques (maladies cardiovasculaires, cancers, maladies respiratoires et autres), ont été obtenues via les certificats de décès et les rapports des proches ou des médecins locaux, et codifiées selon la classification ICD-10.
Pour l’analyse statistique, les modèles de régression de Cox ont été utilisés afin d’estimer les ratios de risque (hazard ratios, HR) en tenant compte d’un large éventail de variables de confusion telles que l’âge, le sexe, le statut socio-économique, les habitudes alimentaires, le mode de vie (tabagisme, consommation d’alcool, exercice), ainsi que diverses conditions médicales préexistantes (hypertension, maladies cardiaques, diabète, etc.). Un soin particulier a été apporté à la distinction entre l’effet de la perte de dents et celui de l’utilisation des prothèses. Des analyses supplémentaires, incluant des courbes de survie de Kaplan–Meier et des modèles à effets multiples, ont permis d’explorer en profondeur la relation dose-réponse entre le nombre de dents et la mortalité.
Résultats
Les résultats de l’étude montrent clairement qu’une diminution du nombre de dents naturelles est associée à une augmentation du risque de mortalité toutes causes confondues ainsi que pour des causes spécifiques telles que les maladies cardiovasculaires et les cancers. Plus précisément, les individus dépourvus de dents ou possédant seulement entre 1 et 9 dents présentent un risque significativement plus élevé de décéder par rapport à ceux disposant de 20 dents ou plus. Par ailleurs, l’utilisation de prothèses dentaires semble jouer un rôle protecteur. Les participants qui portaient des prothèses avaient un risque de mortalité réduit d’environ 21 % pour la mortalité toutes causes, et également des réductions notables pour les décès liés aux maladies cardiovasculaires et respiratoires.
Les analyses combinées montrent que les personnes ayant perdu la quasi-totalité de leurs dents et ne disposant pas de prothèses sont les plus vulnérables, avec des HR nettement supérieurs par rapport à ceux ayant conservé un nombre suffisant de dents ou bénéficiant d’une restauration prothétique. Notamment, l’impact de la perte de dents sur la mortalité était particulièrement prononcé chez les individus de moins de 80 ans, suggérant que chez les personnes plus jeunes, la capacité à mastiquer et à maintenir une alimentation équilibrée pourrait être mieux préservée.
Discussion
Les résultats obtenus confirment l’hypothèse selon laquelle la perte de dents, en particulier lorsqu’elle est sévère (moins de 10 dents restantes), est un facteur de risque indépendant de mortalité chez les personnes âgées. Plusieurs mécanismes peuvent expliquer cette association. D’abord, la perte de dents peut compromettre la capacité masticatoire, entraînant une réduction de l’apport nutritionnel et une diminution de la diversité alimentaire. Une mauvaise alimentation est reconnue pour favoriser l’inflammation systémique, ce qui pourrait contribuer au développement ou à l’aggravation de maladies chroniques telles que les maladies cardiovasculaires et certains cancers.
Ensuite, la perte de dents peut aussi être un indicateur de négligence en matière de soins bucco-dentaires. Un mauvais état d’hygiène bucco-dentaire est lui-même associé à un risque accru d’infections et d’inflammation chronique, qui peuvent avoir des répercussions sur l’ensemble de la santé. Enfin, la perte de dents peut entraîner des conséquences psychosociales telles que l’isolement social, la baisse de l’estime de soi et la dépression, qui sont tous des facteurs susceptibles d’influencer négativement la santé générale et la longévité.
L’utilisation de prothèses dentaires apparaît comme une intervention potentiellement bénéfique, capable de compenser en partie les effets négatifs de la perte de dents. En restaurant la fonction masticatoire et en améliorant l’esthétique du sourire, les prothèses permettent d’améliorer la qualité de vie des patients et de réduire certains risques associés à une mauvaise alimentation et à l’isolement social.
Cependant, il est important de noter que la relation observée dans cette étude est complexe. Bien que la présence de prothèses réduise le risque de mortalité, elles ne rétablissent pas totalement la fonction dentaire d’origine. De plus, la qualité des prothèses, leur ajustement et la capacité des patients à maintenir une hygiène bucco-dentaire adéquate sont des facteurs cruciaux qui peuvent moduler ces résultats. D’autres études devront explorer ces paramètres en détail pour déterminer les meilleures stratégies d’intervention.
Implications pour la santé publique
Ces résultats ont d’importantes implications pour la santé publique, en particulier dans le contexte du vieillissement de la population mondiale. Il apparaît crucial de promouvoir la préservation des dents naturelles à travers des campagnes de prévention, l’éducation des patients et l’amélioration de l’accès aux soins dentaires. Parallèlement, la mise en place de programmes visant à faciliter l’accès aux prothèses dentaires de qualité peut contribuer à réduire le risque de mortalité chez les personnes âgées. La recherche de solutions innovantes en matière de soins bucco-dentaires, y compris l’utilisation des technologies numériques pour améliorer la conception et la fabrication des prothèses, représente un axe prometteur pour l’avenir.
En outre, l’intégration d’une approche multidisciplinaire, impliquant dentistes, nutritionnistes, psychologues et professionnels de la santé publique, est essentielle pour adresser les multiples dimensions des effets de la perte de dents sur la santé. Des stratégies globales de prévention et de traitement pourraient ainsi être mises en œuvre pour améliorer la qualité de vie des personnes âgées et réduire leur risque de mortalité.
Conclusion
En conclusion, cette étude de cohorte démontre que chez les personnes âgées, la perte de dents, en particulier lorsque celle-ci est sévère, est associée à une augmentation significative du risque de mortalité toutes causes confondues ainsi que pour des causes spécifiques telles que les maladies cardiovasculaires et les cancers. L’utilisation de prothèses dentaires semble atténuer partiellement ce risque, soulignant l’importance de la restauration fonctionnelle et esthétique de la dentition dans le maintien d’une bonne qualité de vie.
Ces résultats soulignent l’urgence de mettre en place des politiques de prévention et d’intervention visant à préserver les dents naturelles et à améliorer l’accès aux prothèses dentaires pour les personnes âgées. Face au vieillissement de la population mondiale, il est impératif d’agir pour améliorer la santé bucco-dentaire et, par extension, la santé globale des seniors. Des études futures devraient continuer à explorer ces associations et à affiner les stratégies d’intervention afin de maximiser les bénéfices pour la santé publique.
Ainsi, la préservation des dents naturelles et la mise en place d’interventions restauratrices adaptées représentent des leviers essentiels pour promouvoir un vieillissement actif et en bonne santé, tout en réduisant le fardeau économique et social des maladies chroniques associées à une mauvaise santé bucco-dentaire.





